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Commune libertaire n° 26
Du sport !
mardi 1er juin 2010, par
La manipulation du corps et du jeu
Il suffit de voir une finale de 100 mètres olympique pour mesurer toute la barbarie de l’idéologie contemporaine du sport qui ne se dit jamais, mais s’exprime partout : qu’est-ce que le corps sportif, le corps athlétique, la norme du corps ? Ce corps nous montre le contrôle social qui s’opère via le sport comme institution. L’idéologie hygiéniste est la base de cette surveillance constante de tous les citoyens : obsession du corps parfait (normes physiques, chirurgie esthétique, qui touche d’abord les femmes mais de plus en plus les hommes), quête de la bonne santé, etc. Les prescriptions sont nombreuses et de plus en plus impératives, elles visent tout le monde, et le sport est l’instrument parfait de la domestication des corps. Non pas pour rendre les citoyens plus libres, bien au contraire, mais pour fournir à la société, à la machine capitaliste, des corps fonctionnels, utiles et performants.
Le corps de chaque individu d’aujourd’hui n’appartient pas tout à fait à son/sa propriétaire C’est un corps politique et économique, un espace asservi par la technicité du sport, afin de le préparer à la guerre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le sport est né avec l’industrialisation de l’Angleterre et la colonisation parallèle du monde par l’Empire britannique au xixe siècle ; conquête terrestre et conquête des corps vont de pair, préparation des corps au travail à l’usine (lutte contre l’alcoolisme, les maladies, habitat ouvrier, non par charité mais pour la bonne marche du capitalisme), et préparation des corps pour l’armée et les grandes guerres qui se préparent (les deux guerres mondiales seront l’apothéose et la justification du sport instrumentalisé par l’État qui, comme l’usine, a besoin, pour fonctionner, de corps dociles, préparés, formatés et en bonne santé).
Le sport est là pour façonner des instruments utiles à la bonne marche de l’État et de l’économie, quitte à les malmener s’il le faut. En ce sens, le corps sportif est une image du monde correspondant parfaitement à ce qu’attend le capitalisme industriel et technologique avancé. Il est un miroir de l’idéologie dominante. L’idéologie du sport exalte le culte de la performance pour la performance, avec comme outils des entraînements toujours plus poussés. Ces entraînements, souvent débutés dès le plus jeune âge, deviennent quasi inhumains dans un sport professionnel où performance rime avec profit et, souvent, dopage.
A contrario, la pratique d’une activité physique, qu’elle soit individuelle ou bien collective, peut et devrait être un moment de plaisir soit par la sensation naturelle de bien-être due à la sécrétion d’endorphine ou simplement par l’attrait du jeu. Une activité durant laquelle une ou plusieurs personnes tentent de réaliser une prouesse physique, d’adresse et, éventuellement dans le même temps, intellectuelle peut s’apparenter à un jeu plutôt qu’à du sport. L’idée même du jeu, sans règles nécessairement préétablies, avec une durée indéterminée et une participation libre, est garante d’une activité basée uniquement sur l’amusement, le développement personnel et la camaraderie. C’est le cas par exemple des jeux d’enfants dans les cours de récréation, ou d’une partie de football initiée spontanément.
Chaque sport connu aujourd’hui s’est développé à partir d’un jeu qui fut encadré, codifié, puis instrumentalisé. À nous de veiller à ce que les activités physiques éphémères, basées sur l’autogestion et la camaraderie, ne deviennent pas un apprentissage de la lutte de tous contre tous, groupes contre groupes et individus contre individus.
Dénoncer la toxicomanie sportive
Le sport a pris une place démesurée dans le monde d’aujourd’hui, aussi bien dans les sphères politique qu’économique ou culturelle. D’où ces quelques réflexions : Le sport est devenu banal dans la société : pour garder la forme, s’épanouir, découvrir sa voie, lier des amitiés, se détendre après le travail, gagner sa vie pour les plus « chanceux », dont certains qui gagneront des millions et la notoriété en devenant des spécialistes de leur discipline. Tous les discours nous poussent à aimer et cultiver le sport.
Mais qu’entendons-nous par « sport » ? Il faut, avant d’aller plus loin, distinguer précisément le sport de l’activité physique. Une partie de pétanque entre amis un dimanche matin ou pratiquer la course à pied pour le plaisir, ce n’est pas du sport. Le sport, dans ce qu’il a de moderne, recouvre quatre caractéristiques :
- un effort physique (donc les jeux d’esprit, échecs ou jeux de cartes par ne sont pas du sport) ;
- un exercice ayant pour finalité la compétition (concurrence généralisée en vue de désigner un seul vainqueur) ;
- une activité fortement réglementée afin que les règles soient identiques pour tous ;
- une activité institutionnalisée, fortement encadrée par des fédérations et organisations au niveau national et international.
Tout le monde a tendance à mélanger ce qui relève du sport, avec les très nombreuses pratiques corporelles et/ou intellectuelles que toutes les sociétés humaines ont connu à toutes les époques. Le sport a pris une place démesurée dans le monde d’aujourd’hui, aussi bien dans les sphères politique qu’économique ou culturelle. Il est important de réfléchir, critiquer et déconstruire cet état de fait.
Donc, contrairement aux Jeux olympiques modernes, les Jeux olympiques antiques (faits en l’honneur des dieux) ou les tournois chevaleresques du Moyen Âge n’étaient pas du sport.
Mais cette confusion volontaire entretient toute une mythologie qui traverse l’ensemble de la société et nous empêche d’analyser sereinement le sport. Pourtant, le sport en question pose problème pour trois raisons :
- le sport imprègne toute la société (origines, classes et âges confondus), avec la complicité de « l’élite » dominante (intellectuels, politiques, journalistes, hommes d’affaires) afin de créer et diffuser un conformisme (la « culture sportive ») qui ne souffre aucune remise en cause, sous peine de passer pour un triste sire ou un dangereux extrémiste ;
- le sport bénéficie de la puissance de l’institution sportive, tentaculaire et opaque à la fois, qui entretient la confusion dont nous parlions (le sport éternel et immuable), tout en masquant aux gens la construction historique et économique récente (moins de deux siècles) de ce qu’est le sport comme invention moderne ;
- enfin, il joue avec l’idée du corps moderne, individuel et malléable, manipulé par les ordres de l’État et du capitalisme : maigrir, rajeunir, souffrir, se muscler, faire toujours plus, et notamment plus de performances (au travail, dans les loisirs, dans la sexualité, etc.). Cette prise en main des corps, et particulièrement du corps des femmes, retire aux hommes, aux femmes et même aux enfants, une part de leur liberté et les rend aveugles sur eux-mêmes. Sans que nous ayons même le droit de questionner les préjugés et les non-dits de ces discours !
C’est pourquoi, afin de nous réapproprier notre liberté, il convient de prendre ses distances d’avec cette trompeuse l’idole !
Le sport, école du capital et opium du peuple ?
Comment expliquer que tant de Français s’identifient à Zinedine Zidane, ou à Sébastien Loeb, à cette « France qui gagne », et surtout qui gagne parfois en un mois ce qu’aucun de nous ne gagnera dans toute sa vie.
Le sport est devenu un extraordinaire secteur d’accumulation (légal) du capital parmi les plus rentables. Ce n’est pas un jeu innocent, mais bien une entreprise capitaliste à part entière avec son marché, ses biens (les sportifs), ses échanges (les achats de joueur, comme Ronaldo, acheté 93 millions d’euros par le club de Barcelone), l’offre et la demande. Le sportif a sa cote et est échangeable sur le marché de la marchandisation généralisée, comme n’importe quel autre humain (prostituée, immigré).
Aujourd’hui, tous les athlètes de haut niveau sont des professionnels ou des salariés, ils gagnent (très bien) leur vie en vendant leurs corps à des clubsusines chargés de produire des spectacles sportifs sponsorisés et distribués par les firmes capitalistes géantes (médias, industriels, etc.). Ce développement exponentiel du sport fait qu’il devient un spectacle et qu’il est l’occasion d’enrichissements ahurissants.
Le sport a généré tout un système associant les fédérations et les clubs aux multinationales (les équipementiers sportifs notamment, comme Nike ou Adidas), aux médias (et en particulier la télévision), à la publicité et même à des structures étatiques. Ce système n’a plus rien à voir avec l’idée originelle du sport plaisir et accomplissement de soi, c’est un business, extrêmement important et lucratif. Il constitue sans doute le stade le plus avancé des institutions bourgeoises dominantes et de leur faculté à faire intérioriser par la masse des travailleurs de tous les pays le mode de pensée capitaliste : avec le sport business, on a réussi à faire admettre à la majorité qu’un individu pouvait légitimement gagner des millions en vendant son talent. Mais si une entreprise comme Nike peut proposer des contrats publicitaires mirobolants à ses sportifs, c’est bien parce qu’elle gagne énormément d’argent sur les ouvriers délocalisés et/ou sous-payés qui fabriquent des accessoires et des gadgets pour quelques centimes, puis sur tous les supporters qui les achètent au prix fort. Au-delà de l’idéologie capitaliste et de la légitimation des inégalités socio-économiques, le système vise aussi à nous faire intégrer les valeurs sportives mises en place et défendues par la classe possédante. On dompte les corps à l’usine comme dans les stades ! Le travailleur comme l’athlète sont autant asservis au chronomètre sur la chaîne de montage que sur la piste. Culte de la productivité et de la performance, exaltation de la compétition, valorisation de l’esprit de clocher et du sentiment nationaliste.
En fait le sport sert à distiller et faire accepter docilement la pensée dominante : mode de production industriel, productivisme, rendement et de dépassement de nos limites au service de la société capitaliste. Le spectacle sportif participe en outre à la dépolitisation de tout un chacun. Marx dénonça en son temps la religion comme l’opium du peuple. Aujourd’hui, c’est bien le sport qui apparaît comme le nouvel opium du peuple, fantastique machine à le décerveler en les divertissant à coups d’images. Pas un temps qui n’échappe à son spectacle, à la fabrication effrénée de compétitions, nationales et internationales. Les événements sportifs se succèdent à un rythme soutenu pour éviter que l’attention des citoyens ne se porte trop longuement sur autre chose ; on multiplie les exhibitions : tournoi, grand prix, match, rencontre amicale ou phase éliminatoire, football, tennis, rugby, rallye, basket, arts martiaux, rendez-vous limité (tournoi des Cinq Nations) ou généralisé (Coupe du monde de football, Jeux olympiques), il ne faut jamais de temps mort qui pourrait laisser les travailleurs, réfléchir, il faut anesthésier les consciences en offrant constamment du pain et des jeux. Et moins il y a de pain, plus il y a de jeux ! On va au stade pour oublier la crise... plutôt que de se révolter contre ceux qui en tirent profit.
Le spectacle sportif, notamment dans les stades, sert à captiver les foules, les canaliser, sublimer les passions potentiellement destructrices et dangereuses pour les dirigeants et les nantis (révoltes sociales, mécontentement des classes dominées, chômage, misère) afin de détourner la légitime colère des dominés vers des hochets inoffensifs. Les graines de la révolte se perdent dans les clubs de supporters, le défoulement dans la pratique sportive ou la recherche de la gagne pour oublier qu’on est soi-même perdant. Manière d’encadrement idéologique des populations et d’une partie de la jeunesse, le sport est utile autant aux dictatures (JO de Berlin en 1936) qu’aux démocraties libérales. C’est comme ça qu’on a construit le mythe black-blancbeur de l’intégration réussie grâce aux Bleus en 1998. Pourtant, un simple regard vers les banlieues « sensibles » nous montre qu’il n’y a nulle intégration, mais seulement profond malaise social. Moyen de gouvernement, le divertissement, d’aliénation idéologique le sacro-saint sport est là pour empêcher les classes laborieuses d’élaborer un autre projet social, un vrai projet d’émancipation, celui-là.
Il n’est que temps de rejeter le sport business et la domination de l’argent qu’il masque, pour revenir vers une pratique différente, le sport comme accomplissement et non comme somnifère.